Les coulisses de la nuit
Notre atelier du 28 novembre s’intéressait aux coulisses de la
nuit.
Avant toute chose, petite étude proposée au groupe qui pouvait
s’en inspirer ou suivre son propre chemin en toute liberté… :
Les coulisses : nom de certaines boîtes de nuit.
Exemples de
coulisses :
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les
coulisses d’un chantier de nuit
-
Les
coulisses d’un spectacle
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Les
coulisses de la création : on peut écrire, peindre ou composer la nuit…
-
Les
coulisses du Salon de l’agriculture : que s’y passe-t-il ? L’ambiance
nocturne y est plutôt animée… Il est l’heure de soigner les animaux, d’assurer
la sécurité, de faire le ménage et… de partager des petites fêtes improvisées
entre exposants et agriculteurs.
-
Expressions et citations
liées à la nuit que l’on peut utiliser ou pas… :
La nuit porte conseil - La nuit des temps - La nuit, tous les
chats sont gris
La nuit, tous les ivrognes sont gris (Professeur Choron)
Braise de nuit devient cendre du matin – proverbe arabe
Les intérêts courent, même la nuit – proverbe indien
L’inconscient se venge la nuit – Louis Scutenaire
La nuit, tous les chants sont tristes – Jacques Pater
Femmes et brebis doivent être rentrées avant la nuit – proverbe
portugais
Qui laboure la nuit perd un pain à chaque sillon – proverbe
suédois
Une nuit d’amour, ça dure un quart d’heure – Wolinski
Le jour a des yeux, la nuit a des
oreilles – proverbe persan
La nuit dure longtemps, mais le jour finit par arriver –
proverbe africain
Le rêve est l’aquarium de la nuit – V. Hugo
La nuit était papier – nous étions encre – Adonis (Mémoires du
vent)
Le soleil brille toujours après une nuit sombre – Ngugi wa Thiong’o
La nuit est un vide dans lequel je peux créer – Grace Jones
Toutes les idées sont tissées sur le canevas de la nuit – André
Suarès
Comme la nuit paraît longue à la douleur qui s’éveille – Horace
Celui qui passe la nuit dans la mare se réveille cousin des
grenouilles – proverbe berbère
Vienne la nuit, sonne l’heure – Des gens s’amusent, d’autres
meurent – Francis Blanche
Plutôt que de maudire les ténèbres, allumons une chandelle, si
petite soit-elle – Confucius
Toutes les nuits appartiennent au voleur, excepté celle où il
est pris – Massa Makan Diabaté
♥
D’Elisabeth Le Borgne
« Toutes les nuits appartiennent au
voleur, excepté celle où il est pris »
« Toutes les nuits appartiennent au voleur, excepté celle où
il est pris… » Cette petite phrase tournait en boucle dans la tête de Jo.
Pourtant, chaque fois qu’il préparait un sale coup, il essayait de se persuader
qu’il ne risquait rien. D’ailleurs, il ne pouvait rien lui arriver. Il avait
au-dessus de la tête une bonne étoile qui brillait de tous ses feux. Plus
encore les nuits de pleine lune, ce qui était le cas cette nuit-là…
« Attention, lui chuchota sa petite voix intérieure, rien n’est jamais gagné
et la pleine lune met les pleins phares sur les mauvaises actions… » Jo la
fit taire d’un revers de manche. « Ta, ta, ta, coupa-t-il, laisse-moi
faire ! J’ai l’habitude ! »
Oui, hélas… Il avait une vilaine habitude… Son imagination trop
fertile l’entraînait constamment vers des chemins de traverse pas toujours
carrossables. Il se provoquait lui-même en provoquant les autres chez qui il se
glissait nuitamment pour leur dérober leurs valeurs comme le plus grand des
voleurs… Comment s’appelait-il déjà ?
Pas le moment de réfléchir là-dessus. Il avait autre chose à faire.
Ah, mais zut, zut et zut… il s’appelait comment celui qui charmait les dames
pour mieux les voler ?
Il verrait ça plus tard : la pleine lune projetait sur lui son
large disque de lumière diaphane.
Il se trouvait dans un jardin spacieux, un potager bien entretenu
où poussait toute sorte de légumes. Dans un autre secteur, un peu plus loin, il
y avait aussi un verger qui donnait pommes et poires. Mais pas en ce moment.
Cette nuit, Jo s’était mis en tête de déterrer un maximum de légumes qu’il
préparerait ensuite tranquillement chez lui. Il ne manquait pas spécialement
d’argent et n’avait pas besoin de voler pour se nourrir. C’était juste un deal
entre lui et lui. « Montre-moi de quoi tu es capable », se
répétait-il chaque nuit. Et toutes les nuits se transformaient pour lui en
coulisses d’une vie qui, peut-être et pourquoi pas, ne lui donnaient pas toute
satisfaction.
La nuit était son terrain de jeu favori. Dans ces moments-là où il
se livrait à des forfaits plus farfelus les uns que les autres, il devenait un
autre lui-même, un être invincible, parfois masqué, déguisé, empêtré dans des
vêtements d’un autre âge. Pourquoi pas dans une cotte de maille tant qu’il y
était ? Il se provoquait.
Jusqu’à quand se provoquerait-il ainsi ? Merde… Il s’appelait
comment le roi des voleurs ?
Cette nuit, décidément, Jo n’avait pas la tête là où il fallait…
Cependant, en un clin d’œil son sac fut plein et il se dépêcha de regagner la
haute palissade par laquelle il était descendu dans le jardin. Il escalada le
mur tant bien que mal et sauta dans la rue largement éclairée par une série de
lampadaires identiques. Comme si cela ne suffisait pas, une grosse lampe-torche
vint se braquer sur son visage et deux bras solides l’empoignèrent tandis
qu’une grosse voix tonitruait : « Alors, Arsène Lupin, on s’empare
des bijoux de la terre ? »
Jo fut si surpris qu’il en fit pipi dans son pantalon. L’urine
toute chaude dégoulina à ses pieds en formant une petite mare entre l’agressé
et l’agresseur…
-
Comment
il a dit ?... Arsène Lupin… Ah, mais… ce n’était pas ce que je
cherchais ? Ce n’était pas comme ça qu’il s’appelait, le roi des
voleurs ?
Il en était là de ses réflexions quand une sirène éclata à ses
oreilles et une voiture de police s’arrêta à leur hauteur.
-
C’est
moi qui vous ai appelé, déclara le propriétaire du jardin. Bon… c’est pas comme s’il m’avait piqué tous mes bijoux. Ce ne
sont que des légumes, mais ils me demandent quelques efforts, mes bijoux… Heu…
mes légumes ! Et… pas de pot, je suis insomniaque. Surtout les nuits de
pleine lune. Alors, cet énergumène, ça fait un moment que je l’ai repéré !
Les poignets de Jo furent vite enserrés par des menottes.
-
Allez,
grimpe là-dedans, Monsieur le roi des voleurs, dit un policier en le poussant
dans la voiture. Au trou et sans soupe au chou !
La petite voix intérieure de Jo minauda : « Toutes les
nuits appartiennent au voleur, excepté celle où il est pris… »
Y
De Martine Brulé
Les Coulisses d'une
nuit trop soudaine
Il était juste
passé dix-sept heures et déjà le jour s'était éteint sur sa journée de travail.
Le téléphone sonna alors qu'elle avait à peine repris le chemin du retour à la
maison et c'était encore Annie au bout du fil invisible du portable. Alors il
fallait garer la voiture au mieux et au plus vite pour décrocher. Annie en
sanglots attendait une oreille dans laquelle déverser son flot de tristesse et
de lamentations. La voiture s'arrêta et elle prit l'appel.
Cela faisait à
peine un quart d'heure qu'elle avait quitté Sophie en pleurs et en pleurs
Sophie l'était encore. Alors elle écouta les bribes de phrases articulées par
son amie. Oui bien sûr elle comprenait, elle entendait bien, elle essayait de
raisonner, elle pouvait même essayer de consoler un peu.
Mais tous les
chagrins d'amour ont un point en commun. Ce sont tous des chagrins. De gros
chagrins qui font mal au coeur, qui vous filent la tremblote et vous empêchent de respirer librement.
Mais globalement on s'en remet, plus ou moins bien faute de choix car la vie
n'attend pas. Il faut bien continuer de vivre et si possible avec le sourire et
les yeux secs c'est mieux pour tout le monde.
Malgré toute
l'amitié qu'elle portait à son amie, stoppée dans son parcours par ce coup de
téléphone dérangeant, elle avait surtout hâte de reprendre sa route pour
retrouver les siens, en premier lieu son fils de quatre ans qui l'attendait à
la garderie. Alors elle s'efforça de se montrer brève et pour une fois
légèrement directive.
"Écoute
Annie, prends-toi un bon bain chaud, essaie de te détendre et de laisser passer
la nuit. On en reparlera demain". " Il faut que je récupère les
enfants". "Oui je te rappelle très vite, promis". "Je vais
voir si je peux redescendre te voir plus tard". "Oui, je te
dis". "Allez, courage. Bisous".
Et elle reprit
son trajet habituel. Il fallait passer prendre Jules puis récupérer Alice chez
la nourrice et une fois les deux petits réunis filer faire quelques courses
afin de préparer le repas. Entre temps il faudrait trouver un moment pour
donner les bains, poser son sac, enfiler les
pyjamas, desservir la table, lire une dernière histoire, remettre le
couvert pour le retour du chef de tribu... et rappeler Annie.
Annie qui
n'avait pas encore réussi à se construire une famille. Annie qui n'avait pas
encore goûté au plaisir de ces journées un peu trop étroites coincées entre
obligations professionnelles, urgences parentales et tendresses conjugales.
Annie qui était seule tranquille chez elle en train de pleurer.
Elle gara enfin
la voiture face aux locaux où l'attendait son petit garçon, les bras avides de
câlins à distribuer, la bouche pleine de bisous à diffuser. La nuit était
tombée. Le pas assuré et pressé, elle s'engagea sur le passage protégé. Et
quelques secondes plus tard, la tête la première et les mains déjà tendues, une
voiture la faucha.
Recouverte d'une
couverture improvisée, elle gisait désormais, sous le crachin humide, à
quelques mètres du passage qui l'avait si mal prémunie du danger, certes bien
improbable de se faire renverser aussi violemment. Preuve s'il en fallait une
que de simples lignes blanches peintes en blanc sur une traversée piétonne ne
représentent pas un paravent bien solide face à un quelconque véhicule
motorisé.
C'est une
douleur étrange mais insistante aux genoux qui la vit reprendre vie. Douleur
suivie de près du regard un peu effrayé d'une femme aux cheveux blonds, penchée
vers elle et déjà vue quelque part... Mais où ?
La question ne nécessitait aucune réponse immédiate et c'était bien
ainsi. Sa conscience à peine retrouvée lui dictant rapidement que l'urgence
n'était pas aux politesses.
Faute d'oser le
moindre geste, elle balbutia péniblement : "Et Jules ?". " Votre
fils va bien. Il est avec votre mari. Votre petite fille aussi. Ils
arrivent" lui répondit doucement la femme blonde. Alors, elle respira à
nouveau, lentement, l'air humide et froid de la nuit.
"Et ma
jambe ? J'ai mal". " Oui, les pompiers sont prévenus. Ils ne vont
plus tarder."
Alors oui plus
tard, bien plus tard, elle rappellerait Annie. Pour l'heure, le temps s'était
arrêté sur elle, la nuit allait être longue, très longue et souvent rude. Le
corps désormais tout engourdi de morphine, les paupières écrasées de fatigue,
elle entrevoyait déjà les lueurs de l'hôpital. Et pour redonner espoir à ses
membres meurtris, elle leur murmura ce doux proverbe africain :
"La nuit
dure longtemps mais le soleil finit toujours par arriver."