Atelier du 9 avril

Base de travail : « Gilles et Jeanne » de Michel Tournier

Qui nous mènera vers « Le Petit Poucet », « Barbe-bleue » et le mythe de l’Ogre…

et… vers la notion d’anti-héros

Dès leur première rencontre, Gilles éprouve pour Jeanne un véritable coup de foudre. Il est fasciné par sa pureté et sa sainteté. Elle a 16 ans et l’allure d’un jeune adolescent. Envoyée par le Roi du Ciel pour sauver le royaume de France, elle est venue rencontrer le dauphin Charles ce qui, dans un premier temps, amuse la galerie. Mais voilà qu’elle reconnaît Charles sans l’avoir jamais vu malgré une supercherie : le Comte de Clermont, a pris la place de ce dernier sur le trône tandis que le dauphin se tient parmi les gens de cour.

« Le voici donc le petit page au regard de lumière. »

« Ainsi Jeanne a reconnu Charles, lequel s’est reconnu lui-même à travers elle. »

Charles la confie à son cousin, le duc d’Alençon, et à Gilles de Rais.

Gilles à d’Alençon : « Ne voyez-vous pas la pureté qui rayonne de son visage ? De tout son corps ? Il y a innocence évidente de toute sa chair qui décourage absolument les paroles grivoises et les gestes de privauté. Oui, une innocence enfantine, avec de surcroît, je ne sais comment dire : une lumière qui n’est pas de cette terre. »

« Si Jeanne n’est ni une fille, ni un garçon, c’est clair, n’est-ce pas, c’est qu’elle est un ange. »

Gilles est orphelin de ses deux parents à l’âge de 11 ans. Il est élevé par son grand-père, Jean de Craon qui n’est pas, lui, un saint… Gilles nous est dépeint comme un enfant « normal », d’une intelligence moyenne et d’une profonde piété. Son grand-père le marie jeune. Il a 16 ans. Quatre ans plus tard, il sera père d’une petite fille.

La guerre, au royaume de France, reprend avec Jeanne… « Ses voix lui ont indiqué comme sienne une antique épée, enterrée à l’insu de tous derrière l’autel de l’église Sainte Catherine de Fierbois. On dépêche un homme à Fierbois. Il fouille et exhume l’épée, rouillée, mais en excellent état. »

Gilles : « Je crois comme toi que nous vivons environnés d’anges et de saints. Je crois aussi qu’il ne manque jamais de diables et de fées malignes qui veulent nous faire trébucher sur le chemin du mal. »

« Et pourtant le diable et sa cour existent. Je les sens parfois qui me frôlent et murmurent à mes oreilles des choses obscures que je ne comprends pas et que je tremble de comprendre un jour. »

« Les voix que j’ai entendues dans mon enfance et ma jeunesse ont toujours été celles du mal et du péché. Jeanne, tu n’es pas venue pour sauver seulement le dauphin Charles et son royaume. Sauve aussi le jeune Seigneur Gilles de Rais ! … Jeanne, tu es une sainte, fais de moi un saint ! »

La guerre mène à la libération d’Orléans. Charles est sacré roi à Reims et les Anglais sont écrasés à Patay. ¨ Puis, c’est le déclin, la défaite, l’horreur. En septembre 1429, l’armée de Jeanne attaque Paris.

Gilles : « Il y a un feu en toi. Je le crois de Dieu, mais il est peut-être d’enfer. Le bien et le mal sont toujours proches l’un de l’autre. »

« Je t’aime surtout pour cette pureté qui est en toi et que rien ne peut ternir. »

Avant d’entrer vraiment dans Paris, repli et colère de Jeanne qui est séparée de ses compagnons. Elle suit la cour. Un siège, un succès, un autre et c’est l’échec, puis le drame à Compiègne. Jeanne aura combattu moins de 18 mois. Pour elle, c’est la prison, la passion et le bûcher à Rouen, le 30 mai 1431.

Gilles est retourné chez lui en Vendée. Il rejoindra la cour de France après Compiègne et assistera au supplice de Jeanne, condamnée pour sorcellerie, hérésie, schismatisme, changement de sexe, blasphème et apostasie. A partir de ce moment, il deviendra un ange noir.

Après la mort de son grand-père, Gilles fonde une collégiale dédiée aux Saints Innocents qui le fascinent. Il finit par se confondre avec Hérode, assassin des jeunes enfants juifs. Ce qui lui importe le plus, c’est la chorale d’enfants et d’adolescents liée à la collégiale.

Il se confesse un jour à Blanchet (prêtre) : « J’ai pitié de ces petits qu’on égorge. Je pleure sur leurs tendres corps pantelants. Et en même temps, je ressens un tel plaisir ! C’est si émouvant, un enfant qui souffre ! C’est si beau un petit corps ensanglanté soulevé par les soupirs et les râles de l’agonie. »

Gilles était déjà celui qu’on sait. Il a commencé ses assassinats sur ses petits chanteurs. (Peut-être même avant !) Il était ce que nous appellerions aujourd’hui un « pédophile » qui égorgeait ses victimes et les faisait brûler ainsi que leurs vêtements dans la cheminée. Il pratiquait également la magie noire.

Le Petit Poucet est ici évoqué.

Odeur de chair carbonisée au château. Blanchet ramène François Prélat (Francesco Prelati) pour l’aider à guérir Gilles. Mais ces deux derniers et quelques autres seigneurs deviendront ses complices.

Lors de son procès, Gilles est hautain, violent et désinvolte, puis bestial et puéril. Enfin, hanté par le souvenir de Jeanne, il vit son supplice en chrétien, apaisé et rayonnant.

Gilles : « J’ai rencontré une sainte. Je l’ai accompagnée dans sa gloire. Puis elle a été condamnée par l’Inquisition comme sorcière, et moi je suis devenu le plus grand pécheur de tous les temps et le pire homme qui fût jamais. »

Gilles brûlera lui aussi sur le bûcher purificateur qui, selon lui, mène à la sainteté.

Jeanne et la guerre

La guerre traîne en longueur entre Français et Anglais. Cela dure depuis cent ans. Le pouvoir du roi est affaibli. Victoire des Anglais à Azincourt, le 25 octobre 1415. Autour du roi, des ambitions rivales mènent à la guerre civile. Famines et épidémies. Le peuple paie un lourd tribut.

En 1420, le traité de Troyes donne la France au futur roi d’Angleterre, mais Charles, le dauphin, veut régner. Il trouve quelques appuis. Alors, apparaît Jeanne, née à Domrémy en 1412. Elle est très pieuse et ne sait ni lire, ni écrire. Domrémy est à la frontière du royaume de France et de l’Empire. Inexplicablement, les villageois restent fidèles au roi de France. Jeanne a 13 ans quand Saint-Michel lui parle pour la première fois. Puis Sainte Marguerite et Sainte Catherine. Jeanne a peur mais elle finit par aller voir Robert de Vaudricourt, à Vaucouleurs, qui, à force d’insistance, finira par la conduire auprès du dauphin avec lequel elle s’entretiendra longuement. Même si celui-ci se méfie d’elle, il finit tout de même par lui faire confiance après quelques « tests » par des gens d’église.

Même blessée, Jeanne guerroie et met les Anglais à mal. Orléans est délivré. Charles est sacré roi, à Reims. Puis, Jeanne piétine. Le jeune roi ne l’aide plus guère. Les échecs se succèdent, mais elle reste très populaire auprès de la population. Elle est emprisonnée, essaie de s’évader à chaque fois, mais est toujours reprise. Elle se retrouve face à l’Inquisition qui la condamnera au bûcher. Après sa mort, la crise s’estompe et Charles réorganise l’armée. Il a retrouvé sa vraie place au royaume de France. En 1456, Isabelle Romée, mère de Jeanne tente de faire réhabiliter sa fille. Héroïne nationale ou sainte, elle sera canonisée en 1920.

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Atelier d’écriture en 5 volets, 5 monologues à travers lesquels Gilles et Jeanne s’exprimeront tour à tour. Gilles dira « Elle », Jeanne dira « Il ».

1 – La rencontre

2 – Le compagnonnage et la guerre

3 - La séparation : vie de cour pour elle, la Vendée pour lui

4 – Victoires et échecs – Prison et bûcher pour elle

5 – Survie de l’ange noir et fin sur le bûcher

 

Chacun a la possibilité de choisir le ou les monologues qui lui conviennent.

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Atelier d’écriture en 5 volets - 3ème volet selon Gilles : Séparation d’avec Jeanne - retour en Vendée 

Me voilà enfin rentré en mon fief Vendéen. Le tumulte de la vie de cour m’a épuisé. Mon seul réconfort en ces jours, c’était elle. Elle et son allure angélique. Elle me hantera, je n’en doute pas, jusqu’à mon dernier souffle. J’ai l’intime conviction que nos destins sont liés. Je ne sais pourquoi ces forces obscures nous ont rapprochés. Pourquoi m’avoir fait croiser si brièvement cet être si délicieux ? Cette douce lumière si parallèle à la mienne. Mes voix ont été transcendées en sa présence. Aujourd’hui, je les sens m’envahir à nouveau d’un flux continu, éclairci, lorsque je pense à elle.

Je me délecte de cette odeur, de la sienne et de toutes ces jeunes âmes pures et chastes. La pureté a une odeur incomparable et quand elle est saisie…. Elle se mêle tantôt au blanc, tantôt au rouge. Quelle délicieuse sensation… Je ressens sa viscosité entre mes doigts, sa tiédeur, sa couleur d’un rouge obsédant, envoûtant. Comment ne pas céder à cette envie de la toucher ? Pourquoi résister ? Je prends tellement de plaisir à voir cette innocence déserter un corps. Quel bel habit elle revêt ! Elle se cache sous différentes formes, sous différents corps. Des enfants, des femmes, dont le corps reste inavoué aux yeux d’un homme. J’aime aussi la voir habiter des animaux que l’homme a domestiqués. Lorsqu’ils ont troqué leur instinct, contre l’affection de l’homme, quelles adorables créatures dévouées à un être si pitoyable, des mécréants ! Scélérats abjects !  Pourtant tu es là, elle est là … Quel don inouï m’a permis de te voir parmi ces créatures ? Ton aura céleste m’enveloppe. Je te veux en moi. Oh Jeanne, je veux te posséder ! Je veux entendre ce que tu entends ! Je veux voir ce que tu vois ! Je veux être admiré comme tu l’es !

Tes cheveux blonds, courts, ton visage innocent, tes yeux verts, ton teint de porcelaine…

Elle me hante. Elle me contient. Mes voix sonnent le glas lorsqu’elle est là. Mes voix se languissent d’elles, depuis son départ.

Voix : « Chasse-là ! »

Nous nous livrons un combat. Mon corps est habité. Elle a semé un trouble profond en moi.

Voix : « Quitte-le ! Quitte-le ! Meurs ! »

J’ai pourtant la sensation de ressentir mon corps plus que jamais. J’habite chacun de mes membres. Ce combat me trouble, mais je sais que la fin sera une apothéose, que la béatitude me guette.

Je ressens tellement d’émotions contradictoires. Je suis bousculé dans tout mon être. Chaque pas me guide vers cette fraîcheur, cette grâce qui me submerge. Quelle délectation ! Oh Jeanne ! Tu as ouvert en moi une brèche inavouable ! J’entends enfin ! Je deviens clairvoyant ! Je me fuyais avant cette rencontre ! Tu as su t’ouvrir à tes voix et je vais faire de même. Oh Jeanne ! La tête m’en tourne !

Hélène Lemoine

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La rencontre

Gilles : Ils rient, ils rient… mais rira bien qui rira le dernier. Est-ce vraiment une fille, un garçon ou un ange, ce jeune adolescent sanglé dans des pantalons d’homme ? Elle vient d’ailleurs, c’est sûr. Elle n’est pas de la terre. Une pareille innocence, une pareille inconscience ? Comment va-t-elle s’en sortir sur un champ de bataille ? Sa présence parmi nos troupes, toute cette violence et nos gaudrioles, ce n’est pas pour elle. Et pourtant, je sais déjà que j’ai besoin d’elle. Elle m’aidera à mieux vivre, à devenir meilleur, à gagner la sainteté dont je rêve depuis toujours.

Le compagnonnage et la guerre

Gilles : Elle me surprend de jour en jour. D’où tire-t-elle cette force étonnante ? Et comment se fait-il qu’elle n’ait aucun scrupule à tuer ? L’ennemi, c’est l’ennemi. C’est pourtant aussi un être humain. Un être, des êtres qu’elle n’hésite pas à faire souffrir. Seule compte sa mission divine. Mais ne dirait-on pas qu’elle y prend plaisir ? Pour elle, tout cela n’est qu’une épreuve dont nous devons tous sortir vainqueurs. Vainqueurs… et cela me laisse rêveur, nous laisse tous rêveurs. Pourquoi ne l’envoyons-nous pas promener ? Les choses seraient vite réglées. Mais non, quelque chose nous en empêche. Elle nous a tous ensorcelés. Nous sommes tous à sa botte et nous lui emboîtons le pas sans sourciller.

 

La séparation

Gilles : Où est-elle à présent ? Les salons de la Cour ne sont pas faits pour elle. Je la sens trépigner comme un jeune étalon. De quoi est-elle capable si l’on freine ses élans ? Les voix se font pressantes et l’action ne dépend pas d’elle. Si… après tout, tout peut dépendre d’elle. Il suffirait juste qu’elle choisisse un bon filon, s’acoquine avec les bonnes personnes. Oh, je rage d’être ici, dans mon château vendéen, près d’une femme que je n’aime pas et d’une enfant qui ne me ressemble pas. J’imagine la colère de Jeanne, son apparente impuissance. Et elle me manque tant ! Mes propres voix me hantent et je ne sais pas leur résister.

 

Victoires et échecs

Voilà qu’ils l’ont emprisonnée, violentée, salie. Qui peut admettre une chose pareille ? Et l’autre là, le Dauphin, que fait-il pour la tirer de là ? Il n’en a plus maintenant que pour sa couronne et son royaume de France ! Elle souffre du froid, de la saleté, de la faim. Et ses voix, hein, que font-elles donc pour elle ? Vont-elles enfin la sortir de là ? Si j’obéissais aux miennes, ce serait vite vu !

 

Elisabeth Le Borgne

 

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