Comme à l’automne dernier, quelques « plumes » se sont réunies un samedi après-midi pour écrire une courte nouvelle inspirée des œuvres présentées lors du Salon proposé par la SAEBS (Société des Artistes Elbeuf Boucle de Seine). Ici, celui des Œuvres sur Papier de Caudebec-lès-Elbeuf (31 janvier au 8 février 2015).

 

Le peintre et le chat

 

Le chat (en lui-même) : « Je bous, je fulmine intérieurement ! Mes griffes s’agacent à rester dans leurs coussinets ! Si je n’avais pas décidé de rester zen, mes muscles horripilateurs entreraient en action pour hérisser mon poil de manière effrayante.»

Le peintre : «  Qu’est-ce que t’as, Léonard ? Ça fait combien de temps que tu restes là, immobile, au pied du chevalet, avec l’air d’un vieux sphinx qui sait tout du bien et du beau ? Quand tu ouvres les yeux, c’est pour lancer sur ma toile des regards assassins. Si tes encouragements s’arrêtent là, tu peux prendre la porte ! »

Le chat : « Tu voudrais que je t’encourage, alors que je rage ! Que je suis absolument scandalisé ! Ce tableau, c’est un attentat à la pudeur, c’est ta honte assurée ! Je suis au désespoir, au fond du trou noir ! Les affronts que Manet a dû endurer pour son Olympia ne sont rien, en comparaison de ce qui t’attend,  si tu oses exposer ça ! J’étais volontiers ta muse quand tes tableaux  suscitaient l’élévation mais puisque tu sombres dans la dépravation, je refuse toute collaboration ! Ah ! tu peux t’attendre à ce qu’on se bouscule devant ton œuvre du diable comme devant la Joconde, mais, comme on a le public qu’on mérite, tes admirateurs seront des vicieux, des satyres lubriques et des fornicateurs. »

Le peintre : « Ah ! Maintenant, Monsieur moralise ! Si ça te chante, file chez les intégristes ! Mais fais d’abord ton examen de conscience ! Moi, je n’ai tué ni torturé personne alors que les souris en auraient beaucoup à révéler sur toi ! »

Le chat : « Tu m’accuses pour t’écarter du sujet ! Oui ! Car le problème, c’est le sujet ! Je ne supporte pas que tu fasses pénétrer les étrangers dans ton intimité de façon aussi impudique ! »

Le peintre : « Ah ! Monsieur voudrait que, toute ma vie, je peigne les bateaux, la mer, les nuages ! Monsieur a la nostalgie d’une époque où il naviguait seul avec moi ! C’est vrai, l’odeur de l’air marin faisait frémir ton nez sensible et tu t’en délectais. Mais rappelle-toi ! Dès que le vent faisait un peu tanguer le bateau, tu ne savais plus ou te mettre, sinon dans mes pattes ! Tu me perturbais autant que maintenant ! Mais je comprends ! Monsieur, qui vieillit, qui devient de plus en plus casanier, veut sentir l’air du large par mes toiles ! Au lieu de te buter, de t’indigner, fais-toi un peu réceptif et ouvert ! Alors, sur cette peinture, d’une certaine façon, tu verras peut-être la mer. »

Le chat : «Je vais te dire ce que je vois et continuerai à voir. Je vois du désordre, du tumulte,  des ébats d’enfer. Ce « Lit du matin » comme tu intitules ta toile, fleure la sueur et le stupre. J’ai de bons yeux, un  petit nez très sensible, des moustaches, qu’on ne trompe pas comme ça ! Depuis qu’elle est là, cette sorcière que tu as ramenée d’Afrique, c’est le diable qui tient ton pinceau ! Quand tu m’accordais maintes caresses, des ondes positives guidaient tes doigts, ta main. Tout le ciel du Bon Dieu envahissait tes œuvres. Maintenant, Satan t’entraîne vers les sombres abîmes ! »

Le peintre : « Ah j’ai compris, mon Léonard ! Tu es jaloux ! Tu te prenais naïvement pour mon conjoint, pour mon conjoint à vie ! Mais comprends donc que je l’aime ! Que j’aime caresser sa belle peau ambrée comme j’aime caresser la douceur satinée de ton pelage gris ! Oui ! Je l’aime, et quel meilleur endroit pour aimer qu’un lit ! »

Le chat : « Moi, jaloux ! Ma beauté, la qualité de ma présence m’en préservent bien ! En tout cas, je prévois que tu vas nous faire honte à la prochaine exposition avec cette toile que je n’intitulerais pas « Lit du matin » mais « Lit du Styx ». La prochaine fois, tu n’auras plus qu’à exposer Perséphone à côté ! »         

Le peintre : « Mon Léonard, tu me déçois ! Certes, je t’ai toujours reconnu une grande érudition. Mais où sont donc passés ton incomparable finesse, ton flair de l’avenir en matière d’art ? Tu ne vois pas que j’ouvre de nouveaux horizons ? Tu ne vois pas que ce lit défait, ses plis, ses replis, c’est aussi toute la mer, les mouvements de la houle, ses remous, ses ressacs, les vagues qui se dressent  en crêtes écumantes puis s’écroulent, et sur cette intense vitalité, les jeux de la lumière, les reflets des nuages impalpables. En fermant les yeux, tu pourras entendre les vents aux multiples voix, les rires et les appels de grands oiseaux légers, les rumeurs qui montent des profondeurs. Regarde ! Ecoute ! »

Marion, le 10 février 2015

 

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Non il n'est pas triste le clown,
il est seulement pensif, il attend,
il a une idée derrière la tête.
Sous sa tignasse ébouriffée, une histoire bouillonne,
le peintre l'a gratifié de gaies couleurs
pour adoucir son tourment.
Son oeil cerné de noir voit loin dans son passé.
Il s'interdit de pleurer pour ne pas effacer le tendre pastel de ses joues.
Je l'abandonne à sa mélancolie,
d'autres tableaux m'appellent.
La peinture éclabousse la couleur, façonne les visages, dénude le corps,
intrigue ou dérange, vient titiller l'émotion, telle la Marianne glorifiant Charlie.


Monique

 

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