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Saverne / Histoire

Quand la cité redevint française


Place du Château, août 1914 : évacuation de blessés allemands vers l'hôpital militaire. (Document des archives de Saverne)

Le mardi 19 novembre 1918, l'armée française entre à Saverne. Retour sur cet événement.

 Pour fêter l'entrée des troupes françaises, la ville pavoise aux couleurs tricolores. Les ouvriers municipaux mettent des sapins le long de la Grand-rue. Les drapeaux tricolores sont à toutes les fenêtres avec des banderoles : «L'Alsace vous salue »; «Novembre 1913, Affaire de Saverne »; «Novembre 1918, Délivrance»...
 Un cortège de voitures officielles arrive vers midi. Le général Gérard, chef de la 8e armée, est reçu à déjeuner à la mairie par le maire Knoepffler. Vers 16 h, avec une heure de retard sur l'horaire prévu, les troupes françaises, musique militaire en tête, font leur entrée par la route de Lutzelbourg. Elles sont accueillies au carrefour par Henry Wolff, adjoint au maire, et par les enfants des écoles munis de drapeaux tricolores. Les troupes se dirigent ensuite vers le restaurant du Tivoli pour une nouvelle réception par le conseil municipal, des membres du Souvenir Français et des vétérans de la guerre de 1870.
 Après cette halte, se déroule le défilé dans la Grand-rue. De partout fusent des « Vive la France », « Vivent les poilus », « Vive l'armée ». La musique militaire exécute la « Marche lorraine », « Sambre et Meuse », « la Marseillaise ». A la hauteur de la place du Château, les troupes se mettent en place pour une revue, que passe le général Leboq, commandant la 37e division.

Une semaine agitée
entre guerre et paix

 Les cérémonies se poursuivent avec le discours du maire qui fait allusion à son fils tombé au front et une allocution du recteur Huber qui déplore ne pouvoir faire chanter le Te Deum de la victoire dans l'église encore endommagée par les bombardements. Des petites Alsaciennes en costume traditionnel récitent : « Nous aimons les glorieux libérateurs et nous voulons les embrasser au nom de tous les petits enfants de Saverne ». Des bals clôturent la journée. Les soldats français sont logés chez l'habitant. La ville de Saverne est de nouveau française après un demi-siècle d'intégration dans l'Empire allemand, quatre années de guerre et une semaine agitée entre la guerre et la paix.
 Début novembre, la défaite allemande ne fait plus de doute. Le Reich s'effondre miné par les troubles révolutionnaires et par la déroute de ses alliés. Le 9 novembre, l'empereur abdique et la république est proclamée. Le 11 novembre, les plénipotentiaires allemands signent l'armistice. Une de ses clauses prévoyait l'évacuation de la ligne Saverne-Obernai-Sélestat le 17 novembre à midi.
 Il n'était pas du tout certain que cette évacuation se déroule dans le calme. Saverne était depuis le 10 novembre le théâtre de troubles révolutionnaires. Les officiers allemands sont molestés par des soldats. Comme à Strasbourg et dans de nombreuses villes allemandes, un conseil de soldats (Soldatenrat) se constitue, occupe la mairie et prétend assumer les pleins pouvoirs civils et militaires.
 Le conseil municipal continue de siéger à la Caisse d'Epargne, veille à l'approvisionnement de la ville et coopère tant bien que mal avec les soldats pour assurer l'ordre public.

Quatre longues
années de guerre

 La retraite des troupes allemandes et austro-hongroises vers le Rhin se déroule en effet dans un désordre certain avec des pillages dans les dépôts de l'armée et chez des particuliers. L'hôpital militaire des Récollets est évacué à la hâte par les médecins et les infirmières. Des familles allemandes quittent la ville sans attendre les expulsions prévisibles. Dès le dimanche 17 novembre, les drapeaux tricolores et américains apparaissent aux fenêtres alors que des troupes allemandes traversent encore la ville.
 A la veille de la guerre, Saverne compte environ 9 000 habitants dont 1 400 militaires. Depuis le début d'août 1914, la guerre est omniprésente. La gare voit passer les trains militaires et la population apporte des boissons et des cartes postales aux soldats. Un hôpital militaire est installé à la hâte aux Récollets et recueille les blessés de la bataille de Sarrebourg. Une cantine pour les soldats logés chez l'habitant est installée dans l'actuelle rue Poincaré. La municipalité aménage un cimetière militaire. Les journaux annoncent les décès des soldats originaires de Saverne et parmi eux les jeunes footballeurs du FC Saverne Flory et Person.
 La ville s'installe dans l'état de guerre et les habitants en subissent les contraintes : nourriture rationnée, presse censurée, déplacements hors de la ville contrôlés, usage du français interdit. La police est à l'affût du moindre propos défaitiste. Les graffitis « Vive la France, merde la Prusse, der Kaiser nüss » sont promptement effacés.
 La propagande allemande s'intensifie et incite les Savernois à manifester leur soutien à l'effort de guerre en souscrivant aux emprunts, en donnant les ustensiles métalliques de cuisine superflus et même les bijoux en or et les alliances. Un diplôme était remis aux donateurs patriotiques : « Gold gab ich für Eisen » (j'ai donné de l'or pour du fer). En 1917, les réquisitions de métaux concernent même les cloches des églises de la région. Avec la progressive désorganisation des services de l'Etat, la municipalité de Saverne étend ses interventions économiques jusqu'à émettre de la monnaie métallique pour pallier sa rareté !

Loyalisme prudent
puis réserve croissante

 Il est difficile de retracer l'évolution de l'opinion publique durant les quatre années de guerre. La majorité de la population alsacienne a d'abord manifesté un loyalisme prudent à l'égard de l'Allemagne. En témoigne la mobilisation des jeunes Savernois et la rareté des désertions. Mais au fur et à mesure que la guerre se prolonge, l'opinion publique évolue dans le sens d'une réserve croissante à l'égard d'une Allemagne devenue une dictature militaire.
 Seuls les allemands immigrés, les fonctionnaires notamment, et les Alsaciens ralliés veulent croire à la victoire jusqu'au bout et sauver l'Alsace allemande. C'est à la fin de l'été 1918 seulement que la perspective de la défaite allemande se précise et avec elle le retour de la paix et de l'Alsace française.

(*) Archiviste de la Ville de Saverne.

© Dernières Nouvelles D'alsace, Samedi 18 Novembre 2006. - Tous droits de reproduction réservés