TRAVAUX DIRIGES UV : Rapports d’obligations, Année académique
2009/2010
Thème 4 : La
délégation et la novation
Quelques
rappels
Définitions :
Délégation : c’est l’opération par laquelle le débiteur transfère au créancier qui accepte, une autre personne qui s’engage à payer la dette à son compte et devient ainsi le nouveau débiteur du créancier. Elle peut être dite ‘’parfaite’’ lorsqu’en acceptant le nouveau débiteur, le créancier libère le débiteur initial ; ou ‘’imparfaite’’ lorsqu’en acceptant le nouveau débiteur, le créancier ne libère point le précédent. Sa validité est subordonnée au consentement obligatoire du créancier et du nouveau débiteur[1].
Novation : c’est l’opération par laquelle une ancienne obligation est éteinte pour être remplacée par une nouvelle. Le changement d’obligation se réalise ici à la suite de la modification d’un élément substantiel du précédent rapport d’obligation. Ainsi, il peut porter sur le créancier, sur le débiteur[2] ou sur l’objet de l’obligation[3]. Si la modification ne porte que sur un élément accessoire de l’obligation[4], l’obligation n’est pas éteinte[5] seuls ses accessoires ayant été changés. Pour sa validité donc, deux conditions majeures doivent être respectées : d’une part, extinction d’une précédente obligation (sans paiement) et remplacement par une nouvelle obligation[6] ; d’autre part, intention de nover des parties[7] ; en effet, les parties ont-elles voulu nover (c’est-à-dire remplacer une obligation par une autre) ou alors ont-elles simplement voulu amodier leur obligation).
La délégation et la novation ont en commun le fait qu’il s’agit de conventions, qu’elles peuvent entrainer les mêmes effets (lorsque la délégation est parfaite et que la novation s’opère ainsi par changement de débiteur). Dans ce cas elles produisent les mêmes effets.
Les régimes juridiques de ces deux opérations conservent en revanche de fortes particularités au niveau où pour qu’il y ait techniquement novation par changement du débiteur, il faut que le précédent ait été libéré du fait de l’engagement du second. Ainsi, la délégation imparfaite n’opère point novation ! Si dans la novation, il est exigé une intention de nover, cette exigence a pour équivalence dans le régime de la délégation l’exigence du consentement exprès du créancier dans la délégation. Mais, si la volonté du créancier doit être expresse dans l’opération de la délégation, l’intention de nover des parties peut simplement être déduite des circonstances de l’acte.
S’agissant du domaine, notons que la délégation peut se réaliser même sans substitution du débiteur (la délégation imparfaite ne réalisant qu’une adjonction de débiteur) contrairement à la novation. Mais aussi, alors que la délégation ne se réalise que relativement à la situation du débiteur, la novation peut porter non seulement sur le débiteur, mais aussi sur le créancier et l’objet de l’obligation.
Cas pratique :
Jean, ami d’enfance des frères Pierre et Paul, est débiteur de Pierre d’une créance de 1.000.000 FCFA, garantie par une hypothèque sur son immeuble. Sa dette arrivant bientôt à échéance, il a le malheur de perdre son emploi et fait rapidement le constat de ce qu’il se retrouvera dans l’incapacité de la payer, Pierre étant par ailleurs réputé inflexible.
Ayant besoin de temps, il souhaite changer de créancier, et s’adresse alors à Paul avec qui il a toujours entretenu des rapports très étroits, plus conciliant et compréhensif que son frère. Sur sa demande, il désintéressera son frère, ceci en son nom et pour son propre compte (à lui Paul).
La convention conclue par Jean et Paul constatera leur accord, notamment à travers la formule : « cède, subroge et délègue… ».
1- Quelle est la nature juridique de ce contrat ?
2- Sa qualification aurait-elle été différente sui Pierre y avait prix part et consenti à sa conclusion ? quelle(s) qualification(s) aurait-on pu donner à cette opération ?
3- En ce cas (où Pierre avait pris part…), Jean aurait-il été définitivement libéré de sa dette envers Pierre ?
4- En ce cas (où Pierre avait pris part…), l’hypothèque aurait-elle toujours constitué une garantie de la créance de Pierre ?
Eléments
de réponse
1- Sur la nature juridique du contrat.
Une opération par laquelle un débiteur fait payer sa dette par un tiers est susceptible de plusieurs qualifications sur le plan juridique. Il peut en effet s’agir d’une cession de dette, d’une cession de contrat, d’une simple indication de paiement, d’une novation, d’une délégation, d’un mandat, d’une subrogation ; de l’expromissio… dans notre cas, quelle qualification retenir ? Pour répondre à cette question, nous allons confronter les faits avec les caractères de chacune de ces opérations.
- S’agit t-il d’une délégation ? pour qu’une délégation existe, il faut que le créancier ait consenti en acceptant l’engagement du nouveau débiteur or dans notre cas il n’est nullement fait allusion au consentement qu’aurait exprimé Pierre, ce consentement ne se présumant pas, nous concluons qu’il ne s’agit pas de délégation.
- D’une novation ? la novation exige pour sa validité, non seulement le changement d’un élément essentiel de l’obligation mais aussi et surtout l’intention de nover des parties. Ici, aucun acte n’a été passé entre le débiteur et le créancier d’où on pourrait déduire une quelconque intention de nover, donc il n’y a pas novation.
- D’un mandat ? dans un mandat, le mandataire agit au nom et pour le compte du mandant. Or, dans notre cas, il nous est dit que Paul, accepte de payer pour son propre compte à lui et nom pour le compte de Jean, donc, absence de représentation d’où inexistence de mandat.
- D’une subrogation ? les conditions de l’art. 1250 ne sont point réunies (exigence d’actes notariés).
- D’une cession de dette ? la cession de dette, calquée sur le mécanisme de la cession de créance, mais non consacrée ni admise par le droit positif camerounais, est une opération simple de réalisation. Elle consiste tout simplement en effet pour un débiteur à transmettre sa dette à un tiers qui accepte de l’assumer à sa place. On n’a pas besoin ici du consentement du créancier (elle ne lui est pas opposable, il ne peut qu’en bénéficier). Nous croyons que l’opération dont il est question dans notre cas révèle une simple cession de dette.
En conclusion, nous proposons comme nature juridique de ce contrat, la cession de dette.
2- Si Pierre avait pris part à l’acte. Alors l’acte aurait surement changé de nature. La participation de Pierre à l’acte peut faire prendre par l’acte la nature de la délégation. Celle-ci pouvant être parfaite (Si Pierre en acceptant l’engagement de Paul entend libérer Jean) ou imparfaite (Si malgré l’engagement de Paul, Pierre ne libère pas Jean).
3- Si Pierre avait pris part, Jean aurait-il été définitivement libéré ? pas forcément. Jean ne peut être libéré que si son créancier (Pierre) entend expressément le libérer. Donc la volonté de le libérer doit être expresse, ce qui suppose un acte écrit de la part de Pierre (voir art. 1275 CC). Ainsi, en l’absence de toute volonté expresse, il y a lieu de conclure que Jean n’aurait pas été définitivement libéré.
4- Si Pierre avait pris part, l’hypothèque aurait-elle toujours été maintenue ? oui nous le pensons dans la mesure où l’hypothèque ne disparait que si la délégation a eu un effet novatoire (cas où, de façon expresse, le créancier a manifesté son intention de libérer le débiteur, la dette de ce dernier étant éteinte, ses accessoires –sûretés par exemple - aussi disparaissent. Donc, la simple participation du créancier à l’acte de délégation ne suffit pas à lui faire produire un effet novatoire.
TCHABO SONTANG Hervé
Martial
ATER, Droit Privé, FSJP
Université de Dschang
[1] Selon l’article 1274CC la novation par la substitution d’un nouveau débiteur peut s’opérer sans le concours du premier débiteur.
[2] La novation par changement de débiteur constitue encore la délégation.
[3] Retenons qu’un rapport d’obligation comporte trois éléments essentiels : un sujet actif (créancier), un sujet passif (débiteur) et un objet.
[4] A l’occasion d’un litige, la Cour de cassation française a décidé qu’une modification portant sur le montant de la dette financière, ne pouvait constituer une novation quelle qu’en soit l’intention des parties (Civ. 1ère, 20 nov. 1967, D. 1969.321 note Gomaa). Cependant le réaménagement d’un prêt de 500.000 pour être réuni avec un autre et former un prêt unique de 3.000.000 est une novation ayant pour conséquence d’entraîner la libération de la caution même à hauteur de 500.000. (Com. 19 oct. 1993 ; Bull. Civ. N° 340).
[5] Cas où les parties modifient le taux d’intérêt par exemple, cas où elles conviennent d’une sûreté… dans tous ces cas, il n’y a pas de novation. En effet, la dette n’a changé ni de nature, ni de créancier, ni de débiteur.
[6] La nouvelle obligation doit remplacer une obligation initiale valable, à moins que, entachée de nullité relative, on interprète la novation opérée par les parties comme une confirmation de l’opération.
[7] Cette intention de nover doit clairement résulter de l’acte (art. 1273 CC).