Travaux
dirigés, L III, Droit des sûretés
Notion
de sûretés en droit de l’OHADA
Art. 1er - Une sûreté est l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens
ou d’un patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci et notamment qu’elles
soient présentes ou futures,
déterminées ou déterminables, conditionnelles ou inconditionnelles, et que leur montant soit fixe ou fluctuant.
Obs. :
premièrement, on retient qu’il existe deux catégories de sûretés : celles
qui résultent de l’affectation d’un bien ou d’une masse de biens (sûretés
réelles) et celles qui résultent de l’affectation d’un patrimoine, précisément,
le patrimoine d’un tiers[1]
(sûretés personnelles). Deuxièmement, la sûreté peut être constituée pour la
garantie d’une ou d’un ensemble d’obligations. Peu importe la nature juridique
de ces obligations, il peut donc s’agir d’obligations de moyen ou de résultat.
De même, les obligations garanties peuvent être présentes ou futures.
Art. 2 - Sauf
disposition contraire du présent Acte uniforme, les sûretés qu’il régit sont accessoires de l'obligation dont elles garantissent l'exécution.
Obs. : en
principe, toute sûreté régie par cet acte uniforme a un caractère accessoire.
La raison en est simple : c’est que la notion de sûreté « est
consubstantiellement liée au crédit et ne peut exister en l'absence de
celui-ci »[2] ;
c’est donc toujours le crédit, résultant en général du rapport d’obligation de
base qui entraîne la constitution d’une sûreté. La conséquence de ce caractère
accessoire, c’est l’opposabilité des exceptions tirées du rapport de base en
vertu de la règle accesorium sequitur
principale. Toutes les sûretés n’ont pas ce caractère, il en est ainsi
notamment de la garantie et la contre-garantie autonomes[3].
Art.
4 –
al.
1 : Les sûretés personnelles, au sens du présent Acte uniforme, consistent en l'engagement d'une personne de répondre de l'obligation du débiteur principal
en cas de défaillance de celui-ci ou à première demande du bénéficiaire de la garantie.
Obs. :
le créancier peut redouter que le
patrimoine du débiteur soit insuffisant pour supporter la dette à l’échéance,
dans ce cas, il peut solliciter qu’un tiers s’engage aux côtés du débiteur, en
affectant son patrimoine en garantie. L’engagement personnel du tiers, dans ces
conditions, peut être accessoire (cautionnement) ou autonome (garantie ou
contre-garantie à première demande). Dans le premier cas (engagement
accessoire : cautionnement), le tiers s’engage, en général, dans les mêmes
termes que le débiteur puisqu’il s’engage à payer la dette de ce dernier en cas
de défaillance de sa part ; en conséquence, les deux rapports
d’obligations étant liés, il y a opposabilité des exceptions. Dans le second
cas (engagement autonome : garantie à première demande), le tiers souscrit
un engagement propre, il ne s’engage pas à payer la dette du débiteur, mais, à
payer une somme convenue ; la règle ici est celle de l’inopposabilité des
exceptions.
al. 2 : Sauf disposition contraire du présent
Acte uniforme,
les seules sûretés réelles
valablement constituées sont celles qui sont
régies par cet Acte. Elles consistent, soit dans le droit du créancier
de se faire payer par préférence sur le prix de réalisation d'un bien affecté à la garantie de l'obligation de son débiteur, soit dans le droit de recouvrer la libre disposition d'un bien dont il est propriétaire à titre de garantie de cette obligation.
Obs. :
par principe donc, il n’y a de sûretés
réelles que celles régies par l’AUS. Il n’en est autrement que lorsque les
dispositions de l’AUS le prévoient, en permettant par exemple aux États membres
d’instituer d’autres sûretés réelles. Les
sûretés réelles obéissent à deux modalités particulières :
-
certaines consistent en la création,
au profit du créancier, d’un droit réel accessoire sur un bien meuble (gage,
nantissement) ou immeuble (hypothèque) appartenant au garant ;
-
d’autres, par contre, consistent en
l’affectation du droit de propriété en sûreté (clause de réserve de propriété,
transfert fiduciaire d’une somme d’argent, cession de créance à titre de
garantie).
À
la lecture de cette disposition, il apparaît la volonté du législateur uniforme
de limiter le nombre des sûretés réelles. On serait donc tenté de parler dans
ce cas du numerus clausus des sûretés réelles dans tout l’espace OHADA.
Cependant, l’alinéa 4 qui suit montre bien que tel n’est pas le cas. Et, c’est
ainsi que d’autres sûretés réelles sont prévues en dehors de l’AUS, il en est
ainsi, entre autres du crédit-bail[4].
al.
3 :
Les sûretés réelles peuvent être constituées par le débiteur
lui-même ou un tiers en garantie de l’obligation sous réserve des dispositions particulières du présent Acte uniforme.
Obs. : en général, c’est le débiteur qui affecte lui-même un bien ou un
ensemble de biens de son patrimoine pour la garantie de sa dette, constituant
ainsi, sur ces biens, un droit de préférence sur leur prix en cas de
réalisation au profit du créancier. Mais dans certains cas aussi, le tiers qui
s’engage à garantir la dette du débiteur principal (mécanisme des sûretés
personnelles) peut limiter ou assortir son engagement de l’affectation d’un
bien de son patrimoine. On parle généralement dans ce cas du cautionnement
réel. Les règles qui s’appliquent dans ce cas sont hybrides : respect des
conditions liées à la validité du cautionnement d’une part et des conditions
liées à la validité de la sûreté réelle concernée en fonction de la nature du
bien et de la modalité (dépossession ou non) s’il s’agit du gage par exemple.
al.
4 :
Les sûretés propres au droit fluvial, maritime
et aérien, les sûretés légales
autres que celles régies par
le présent Acte uniforme, ainsi que
les sûretés garantissant l’exécution de contrats conclus exclusivement entre établissements de financement, peuvent faire
l’objet de législations particulières.
Obs. : le législateur uniforme reconnaît, à travers cette disposition, le
caractère non exhaustif des sûretés traitées dans l’AUS. Il préserve aussi le
pouvoir des autorités nationales.
OBSERVATIONS
GÉNÉRALES
·
Si tout créancier jouit, pour le
recouvrement de sa créance, de la garantie offerte par l’article 2093 du code
civil[5]
en vertu de la formule consacrée selon laquelle le patrimoine du débiteur est le
gage commun de ses créanciers, il y a lieu de préciser que pour les
créanciers avisés, le recours à des garanties particulières et spéciales est
toujours prisé.
·
Comme le font remarquer certains auteurs, « En
raison même de sa généralité et en dépit de l’emploi du terme gage, le droit de
gage général ne constitue pas une sûreté au sens technique du terme »[6].
Le patrimoine du débiteur commun peut en effet s’avérer inconsistant, ce qui
rend cette garantie très relative. Du
fait que cette garantie profite par nature à tous les créanciers, elle n’est
pas une sûreté, laquelle doit être spéciale.
·
Les
Sûretés ont une fonction de garantie, il s’agit en effet de
prémunir le créancier contre les risques du crédit (risque d’insolvabilité[7]
et risque d’immobilisation de la créance[8]).
Si le crédit nourrit l’activité économique, son activité a sérieusement besoin
d’être protégée. Cette fonction consiste en général à confier à un créancier un
avantage particulier par rapport aux autres en cas de concours ou à adjoindre
au patrimoine du débiteur (prévention du risque de carence) un autre pour la
satisfaction du créancier.
·
Il
y a lieu de remarquer que si les sûretés constituent les garanties de recouvrement
par excellence, toutes les garanties ne sont pas de sûretés.
En effet, le terme ‘’garantie’’ « consiste en toute mesure destinée à assurer
la sécurité de la formation ou de l’exécution des transactions »[9]
(à ce titre, la solidarité passive, l’obligation de s’abstenir… sont de simples
garanties) ; alors que le terme
‘’Sûreté’’ renvoie à « tout moyen
juridique destiné à éviter les inconvénients du débiteur en conférant au
créancier un second débiteur ou un droit de préférence sur le prix d’un ou de
plusieurs biens du débiteur … ou un droit de suite pour poursuivre la
réalisation du bien entre les mains de toute personne à qui le débiteur en
aurait transférer la propriété ».
·
On doit remarquer que certaines garanties,
à la différence de celles qui constituent de véritables sûretés, ne confèrent
pas au créancier une cause de préférence, elles ne font en général que
renforcer son droit de gage général. Sans sûreté spéciale garantissant une
créance, un créancier ne peut jamais être entièrement désintéressé lorsque la
valeur du patrimoine de son débiteur est inférieure au montant total de ses
engagements. À défaut de sûreté
spéciale, le créancier ne compte que sur le patrimoine de son débiteur, sur
lequel il risque par ailleurs de faire face à la concurrence d’autres
créanciers. En revanche, avec une sûreté spéciale, le créancier peut éviter
la concurrence en s’aménageant un droit de préférence sur un bien ou ensemble
de bien précis (sûreté réelle), ou encore en obtenant l’adjonction au
patrimoine du débiteur, celui d’un tiers, élargissant ainsi la surface
financière sur laquelle il peut exécuter sa créance (sûreté personnelle).
Les éléments qui précèdent permettent,
dans une certaine mesure, de tracer la ligne de démarcation entre la notion de
« sûretés » et les notions qui lui sont voisines.
Sûretés
et situations légales privilégiées
Les situations légales privilégiées
peuvent être définies comme des avantages que la loi offre à certains
créanciers en fonction de certaines situations particulières (par exemple,
pluralité de débiteurs, nature de l’objet de l’obligation…). Elles ne sont pas
à proprement parler des sûretés, elles ne confèrent aucun droit de préférence
ni de suite, ni encore moins n’offrent au créancier un autre patrimoine pour
élargir ses chances de recouvrement. Elles ne garantissent pas le créancier
contre le risque d’insolvabilité du débiteur. Elles contribuent seulement, en
général, à renforcer son droit de gage général (compensation, action oblique,
action paulienne…) et à augmenter ses chances de recouvrement et lui évitant
une multiplication de procédures (obligation in solidum, solidarité passive, indivisibilité…).
Sûretés
et garanties conventionnelles
Les garanties conventionnelles résultent
des négociations contractuelles entre le créancier et le débiteur ou un tiers
(Lettre de confort, sûreté négative, contrat pignoratif…). Elles visent
seulement à augmenter les chances de paiement.
Une approche pragmatique voudrait qu’on
comprenne dans la liste des sûretés tous les moyens permettant d’accroitre,
directement ou indirectement, les chances de paiement du créancier. Mais, des
difficultés sérieuses empêchent de soutenir une telle idée jusqu’au bout. D’une
part, il deviendrait présomptueux de chercher à dresser une liste exhaustive
des sûretés. D’autre part, alors que dans les sûretés proprement dites, l’idée
des parties est de constituer une garantie de paiement, dans les simples
garanties résultant de créations contractuelles, cette fonction n’est pas
toujours celle principalement recherchée par les parties. Et, parfois même, la
fonction de garantie est juste incidente, c'est-à-dire que les parties n’en ont
pas eu conscience dès le départ[10].
ESQUISSE DU SCHÉMA DES SÛRETÉS DE DROIT OHADA
Dr
TCHABO SONTANG Hervé Martial,
Chargé
de Cours, Droit Privé, FSJP Uds.
[1] Lorsque la sûreté est constituée
par l’affectation d’un patrimoine, il ne peut s’agir que du patrimoine d’un
tiers. En effet, le patrimoine du débiteur ne peut spécialement être affecté à
la garantie d’une dette particulière dans la mesure où il constitue le gage de
tous les créanciers du débiteur.
[2] MIENDJIEM (I. L.), ‘’Régime
général des sûretés’’, in Encyclopédie du Droit OHADA, p. 1483.
[3] L’art. 40, al. 2 AUS dispose
clairement que les garantie et contre-garantie autonomes « créent des engagements autonomes, distincts des conventions, actes et
faits susceptibles d'en constituer la base ». De même, selon l’art. 41
in fine, ces garanties et
contre-garanties autonomes impliquent « l'impossibilité, pour le garant ou le contre-garant, de bénéficier des
exceptions de la caution ».
[4] Le mécanisme du crédit-bail est
régi au Cameroun par la loi n° 2010/020
du 21 décembre 2010 portant organisation du crédit-bail au Cameroun.
[5] Cet article dispose : « Les biens du débiteur sont le gage commun de
ses créanciers; et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins
qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ».
L’art. 2294 CC poursuit en indiquant que
« les causes légitimes de préférence
sont les privilèges et hypothèques ».
[6] Cf. SIMLER (Ph.) et DELEBECQUE
(Ph.), Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, 4ème
édition, Dalloz, Coll. Droit privé, 2004, P. 5.
[7] Il se traduit par la situation de
carence dans laquelle se trouverait un débiteur à l’échéance de la créance
[8] Il se traduit par la situation
dans laquelle, bien que solvable, le débiteur prenne beaucoup de temps pour
s’exécuter.
[9] Voir ANOUKAHA (F.) et al. ; OHADA, Sûretés, Bruylant, Bruxelles,
2002, Coll. Droit Uniforme Africain, P. 1.
[10] Cf. SIMLER (Ph.) et DELEBECQUE
(Ph.), op. cit. P. 10.